Innocent Buchu, un journaliste au cœur de Goma 

Innocent Buchu, un journaliste au cœur de Goma 

11 février, 2025

La reprise des combats à Goma (Est de la République démocratique du Congo) entre les Forces armées congolaises (FARDC) et la rébellion du Mouvement du 23 mars, depuis le 27 janvier, a fait 3 000 morts et plus de 2000 blessés selon les derniers chiffres de l’organisation des Nations Unies (Onu). De très nombreux blessés nécessitent des soins urgents, les infrastructures médicales restent débordées, et des milliers de civils sont toujours privés d’assistance vitale. 

Au cœur du chaos, de nombreuses voix nous racontent l’urgence humanitaire, Innocent Buchu, journaliste, blogueur et correspondant de plusieurs médias est l’une d’entre elles. Les productions journalistiques de ce Gomatracien de naissance et de cœur mettent souvent en lumière le rôle de la société civile et le travail des défenseurs des droits de l’Homme. Sans oublier sa propension à documenter la résilience des populations de l’est de la RDC. Ce membre de l’association des blogueurs de Goma (Blogoma) et de AfricTivistes, nous dresse un tableau de la situation dans cette ville, située sur la rive nord du lac Kivu.

AfricTivistes- Quelle est la situation humanitaire actuelle à Goma et dans les villes environnantes depuis le cessez-le-feu (3 février) unilatéral décrété dans l’est de la RDC pour des raisons humanitaires par le M23 ?

La ville est calme mais peut-être froide est le mot approprié. Les rues même les plus animées de la ville sont trop timides. Il n’y a plus de coup de feu toute la journée comme c’était le cas toute la semaine. Mais les populations sont traumatisées avec plus de 3000 Milles morts dans la ville, chiffre qui est encore provisoire selon l’ONU. 

Les gens n’ont pas de moyen de s’approvisionner en denrée de première nécessité. Les enfants sont encore à la maison, les écoles ne fonctionnent pas. Plusieurs familles sont encore sous le choc. Les hôpitaux sont pleins avec plus de 2800 blessés par balles dont plusieurs cas graves selon MSF. On signale aussi des personnes portées disparues dont des anciens membres de la société civile et certains fonctionnaires. Il n’y a pas d’accès dans la ville pour ceux qui sont dans d’autres villes de la province et du pays. L’aéroport de Goma fermé depuis le saccage de la tour de contrôle, rend cette zone plus enclavée qui a une seule ouverture terrestre avec le Rwanda.

Actuellement les affrontements sont signalés au tour de Nyabibwe dans la province du Sud-Kivu ce qui a mené à une violation du cessez-le-feu décrété par la rébellion du M23. Il faut rappeler que le gouvernement de la RDC a nommé un gouverneur militaire et M23 a également nommé à son tour une nouvelle administration avec un gouverneur et deux vices gouverneurs. Les populations sont confuses et prises entre deux feux et ne savent plus à qui se fier. 

L’activité économique est au ralenti après les pillages que la ville a endurer. Les rares commerçants qui ont encore leur business essaient tant bien que mal de se relancer. Il y a une reprise timide des activités mais ça se voit aussi que la population n’a pas d’argent. Les routes ont été ouvertes pour permettre l’acheminement des marchandises à Goma, mais malheureusement les populations ne se sont pas encore relevées de cet arrêt brusque de l’activité économique qui n’a fait qu’augmenter la pauvreté avec beaucoup de pertes. Bref les gomatriciens sont encore traumatisés. 

4- Comment les missions humanitaires et les organisations communautaires de base locales s’organisent-elles pour continuer leur travail, malgré les contraintes logistiques et sécuritaires ?  

Dans la ville plusieurs bureaux sont fermés, plusieurs camps de déplacés ont été démolis. Des missions humanitaires ont été délocalisées dans d’autres villes comme la capitale Kinshasa ou dans d’autres pays tels que l’Ouganda et le Burundi. Les humanitaires ne peuvent travailler dans de telles conditions ou leur sécurité est chaque jour menacée. Par ailleurs, certaines organisations ont laissé sur place des employés pour assurer le service minimum comme le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) qui entre le 28 et le 29 janvier 2025, a vu son entrepôt médical à Goma être totalement dévalisé. Les auteurs d’un tel acte privent du coup de médicaments les malades, blessés qui sont dans l’urgence. 

La rébellion a demandé aux déplacés de regagner leur village. Certains ont été contraints de rentrer sans espoir, vu que Goma qui était leur refuge n’est plus à l’abri d’une résurgence des batailles entre le M23 et les FARDC. 

2- Comment Blogoma opère-t-elle dans ce contexte de crise humanitaire et sécuritaire ? Quelles sont les principales difficultés rencontrées et les actions menées pour y faire face ?  

Le contexte est complexe pour plusieurs activistes et encore plus pour les Web activistes comme les membres de la Blogoma. Déjà qu’une grande partie du travail de la Blogoma se déroule en ligne. Avant la coupure de l’Internet, nous avons partagé un certain nombre des conseils pour barrer la route aux Fake News dans ce moment crucial où l’information peut réellement sauver des vies. La Blogoma a partagé des astuces de détection des Fake News dans les différents groupes WhatsApp. Ce réseau social nous permet de toucher un plus large public ce qui ne nous empêche pas d’utiliser les autres plateformes. Même si des journalistes, blogueurs et web activiste ont déjà pris part à nos sessions de formation, nous avons trouvé nécessaire de les rappeler pour renforcer leur sécurité numérique. Il faut aussi rappeler que par peur plusieurs acteurs de l’information et du numérique s’autocensurent avant même d’être censurés.  

3- Comment évaluez-vous la couverture médiatique actuelle du conflit dans l’Est de la RDC ? Quels sont ses points forts et ses lacunes ?  

Six millions de morts (depuis 1998) et des centaines de milliers de déplacés depuis le début du conflit, pourtant les médias internationaux en parlent peu, et ce conflit reste méconnu. Toute cette situation montre que des millions de morts au Congo ne disent rien face à un mort dans un autre pays. C’est à croire que les vies ne se valent pas et qu’elles n’ont pas les mêmes valeurs.

Je pense qu’il n’y a pas que les médias qui sont aphones. Plusieurs leaders du continent aussi ne se sont pas prononcés pour montrer leur solidarité aux congolais. Leur prise de parole ne laisserait pas les médias indifférents. Parlant des médias internationaux, je pense qu’ils sont ailleurs, toutes les caméras sont sur l’Ukraine. La couverture médiatique de la crise en RDC et de la guerre Russie-Ukraine est un symbole d’une fracture réelle du monde.

Le traitement du conflit est tendancieux et dépolitise le conflit en faisant souci que sur les chiffres en oubliant que derrière les chiffres, il y’a des histoires. L’autre écueil c’est la désinformation, depuis la reprise de combats, il y a eu une montée des fausses informations. Ce qui augmente l’incertitude et la peur. Par exemple, le mot ‘’journaliste patriote’’ a fait irruption dans l’espace médiatique. Le gouvernement congolais tout comme le gouvernement Rwandais ( NDLR: le Rwanda est accusé de soutenir activement les rebelles M23) ont joué sur ce terrain. Le réseau social X, truffé de comptes fictifs, est une arène de cette guerre informationnelle. Dans ce contexte, la troisième et plus importante voix, celle du citoyen lambda n’existe pas.

5- Dans quelles conditions les journalistes, les militants et les activistes exercent-ils à Goma ? Quels sont les principaux obstacles auxquels ils font face ?  

Informer depuis un champ de bataille n’est pas facile. Plusieurs journalistes locaux sont encore terrés dans leurs maisons, d’autres se sont exilés en attendant que la vie redevienne normale. Toutefois, ils continuent d’informer depuis leurs pays d’accueil.

Même si les confrères essaient tant bien que mal d’informer juste et vrai, ils prennent des pincettes ou s’autocensurent. Par mesure de sécurité, ces derniers choisissent minutieusement leurs sujets pour ne pas par faire face à des représailles dans un contexte où les seuls qui ont du pouvoir, ce sont les militaires. Au vu de tous ces paramètres, les attentes du public en matière d’informations ne sont pas satisfaites. 

Pour ce qui est des autres acteurs de la société civile comme les militants et les activistes, ils sont censurés depuis la reprise des combats. A travers des messages diffusés dans les rues de Goma, le M23 qui administre la ville, a interdit les réunions à part les festivités familiales et communautaires comme les mariages, les baptêmes…

7- Quel est votre appel pour que des mesures urgentes soient prises pour faciliter l’accès à l’aide humanitaire et protéger les civils ?  

Nous réclamons d’abord la paix. S’il ya la paix, le reste peut être facilement géré par les communautés de l’Est de la RDC, qui ont déjà montré les preuves de leur résilience. Internet est aujourd’hui un besoin vital, il faut un retour total du réseau pour que la communication entre les humanitaires et autres acteurs de la société soit effective. L’espace lacustre et aérien ne sont pas accessibles ce qui rend encore difficile le travail d’acheminement d’aide. La zone est enclavée, il n’y a pas un couloir humanitaire sécurisé. En définitive, il faut exiger des deux côtés, le respect de la Conventions de Genève afin de protéger les personnes vulnérables et les infrastructures civiles. Nous avons assisté à des bombardements d’hôpitaux  à Goma ce qui est inacceptable. 

Suivre ce cours sur les fondements de la paix et de la sécurité en Afrique du MOOC de Africtivistes sur la démocratie, les élections et la gouvernance: 

https://mooc.africtivistes.org/slides/paix-et-securite-en-afrique-7

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