À quelques jours de l’élection présidentielle du 12 octobre, le Cameroun s’apprête à vivre un moment charnière de son histoire démocratique. Derrière les treize candidats en lice, une autre bataille se joue : celle de la participation citoyenne. Dans un pays où les jeunes et les femmes représentent la majorité de la population, mais restent minoritaires dans les urnes, la question n’est plus seulement qui sera élu, mais plutôt qui choisit réellement.
Jeunes et femmes, majorité démographique, minorité politique
Les jeunes et les femmes constituent la majorité démographique du Cameroun, mais leur poids dans la vie politique reste marginal. Pourtant, aucun changement durable ne peut se faire en les laissant à l’écart. Cette élection devrait être le moment de leur engagement massif dans le processus électoral et un pas vers la reconquête du pouvoir citoyen.
Depuis le début de l’année, 489 869 jeunes se sont inscrits sur les listes électorales, soit 65 % des nouveaux électeurs. Les femmes, quant à elles, représentent 41 % des nouveaux inscrits. Des chiffres encourageants, certes, mais insuffisants au regard du potentiel électoral du pays. Beaucoup continuent de s’abstenir, convaincus que “le système est verrouillé” et que “les résultats sont joués d’avance”. Pourtant, ne pas voter, c’est laisser les autres décider à sa place.
Une présidentielle à l’ère du numérique
Le pays connaît véritablement sa première élection présidentielle fortement marquée par la technologie. La présidentielle de 2025 sera la première à se dérouler dans un Cameroun profondément connecté. En 2018, le taux de pénétration d’internet n’était que de 10 %. Aujourd’hui, il atteint 43,5 %, et plus de 90 % des internautes sont actifs sur Facebook.
Les réseaux sociaux, jadis périphériques dans les processus électoraux, se sont imposés comme de véritables arènes politiques. Entre les lives sur TikTok, les diffusions en direct sur Facebook et les campagnes numériques orchestrées par des influenceurs, la conquête des électeurs se joue désormais aussi sur le terrain digital. Cet écosystème favorise certes la participation citoyenne et la transparence, mais il expose également les électeurs aux risques de désinformation et de manipulation en ligne avec l’utilisation de l’intelligence artificielle.
Le “Njoh” électoral : quand la générosité cache la manipulation
À l’approche du scrutin, les scènes se répètent : distribution de sacs de riz, t-shirts, billets de banque… Ce que l’on appelle localement le “ Njoh” électoral (NDLR: la gratuité) s’est imposé comme une stratégie bien rodée. Derrière ce geste soi-disant bienveillant se cache une réalité troublante : l’achat de la conscience citoyenne. Un vote échangé contre un cadeau, c’est un avenir hypothéqué. Car les cadeaux ne remplacent ni les idées, ni les programmes, ni la vision.
La société civile en action : des initiatives qui redonnent espoir
Face à la défiance et aux pratiques douteuses, plusieurs acteurs de la société civile se mobilisent pour redonner sens à la participation citoyenne :
- Une initiative comme Election Civic Tech Fund soutient des projets numériques favorisant la transparence électorale.
- Camelections.com facilite l’accès à l’information et encourage la veille citoyenne.
- L’ONG “Elles Rayonnent Ensemble” mobilise de son côté les femmes rurales pour s’inscrire, voter et observer le scrutin.
- Plusieurs partis politiques, organisations de la société civile et initiatives citoyennes se mobilisent aussi pour stimuler la participation par des campagnes de sensibilisation, organisées dans toutes les régions.
En outre, des ateliers éducatifs, programmes médiatiques et forums de discussion en ligne sont organisés pour permettre également aux électeurs de mieux comprendre les enjeux et de comparer les programmes des candidats.
Ces initiatives, portées souvent par de jeunes et des acteurs de la société civile, démontrent qu’un autre rapport au vote est possible : plus informé, plus critique, plus engagé.
Cependant, malgré ces avancées, plusieurs défis demeurent : la désinformation, le désintérêt des électeurs ou encore les difficultés logistiques. Pour y faire face, il est essentiel de renforcer l’accès à une information électorale fiable, de simplifier les procédures d’inscription et de faciliter le processus de vote pour les électeurs.
Et maintenant que faire ?
À l’aube de cette élection décisive, le Cameroun a rendez-vous avec son histoire. Le véritable enjeu ne réside pas uniquement dans le nom du futur président, mais dans la capacité des citoyens à reprendre la main sur le destin collectif.
Faudrait-il le rappeler, le vote n’est pas une formalité. C’est un devoir et un acte fort de participation citoyenne et une responsabilité collective. Pour que les voix des jeunes et des femmes comptent, elles doivent d’abord se faire entendre. Par conséquent, s’inscrire, voter, observer, chaque geste compte. Il faut aussi refuser le “njoh”.
Chaque bulletin glissé dans l’urne est un acte de résistance contre l’indifférence. Le changement ne viendra pas d’en haut, il viendra de nous.
Et si, le 12 octobre, le vrai gagnant était enfin… le peuple ?
