Le 21 septembre 2025, près de 6,8 millions de Guinéens étaient appelés à voter une nouvelle Constitution. Le « Oui » l’a emporté avec 89,38 % des suffrages avec un taux de participation annoncé à 86,42 %. Le 27 septembre, la Cour suprême a validé ces résultats, ouvrant la voie à une élection présidentielle prévue le 28 décembre prochain.
Cette semblante adhésion populaire, cache l’enfoncement de la Guinée dans un autoritarisme . La nouvelle Constitution institue un mandat présidentiel de sept ans renouvelable une fois, crée un Sénat -dont les un tiers seront nommés par le chef de l’exécutif – et, surtout, ouvre la voie à une possible candidature de Mamadi Doumbouya. Celui qui, en 2021, justifiait son coup d’État par la nécessité de mettre fin aux manipulations constitutionnelles s’inscrit désormais dans le schéma de la confiscation du pouvoir une histoire qui bégaie.
Le parallèle avec le colonel Lansana Conté est saisissant. Arrivé au pouvoir en 1984 par un coup d’État à la suite de la mort d’Ahmed Sékou Touré, il avait progressivement verrouillé le champ politique, organisant des élections sans réelle concurrence. La radicalisation de son régime débute neuf ans après sa prise de pouvoir avec l’élection présidentielle de décembre 1993.
Lansana Conté, candidat du Parti de l’unité et du progrès (PUP), est opposé à huit candidats, dont Alpha Condé (RPG). Le président sortant l’emporte dès le premier tour de scrutin avec 51,7 % des suffrages. Cette élection est vivement contestée par les partis d’opposition. A partir de la, le régime en place prend un visage plus radical et Conté, modifie la Constitution en 2001 pour prolonger son mandat. Sa gouvernance fut marquée par la répression et l’érosion des libertés fondamentales.
Quatre décennies plus tard, le scénario se répète : dissolution du Front national pour la défense de la Constitution (FNDC) en 2022, disparition d’opposants, fermeture de l’espace civique, instrumentalisation de la justice et, désormais, un référendum qui consacre la “ juntification” du pouvoir. La promesse de transition s’est transformée en une mécanique bien connue : légaliser par les urnes la confiscation militaire du pouvoir.
A préciser qu’entre les deux, la Guinée a vécu l’expérience malheureuse de Moussa Dadis Camara, qui s’est autoproclamé président de la république après la mort de Lansana Conté. Celui qui a fait que deux ans au pouvoir fut blessé en décembre 2009, à la tête par son aide de camp un certain Aboubacar Sidiki Diakité. Après son hospitalisation au Maroc, il a été obligé de quitter ses fonctions.
Après 12 ans d’exil, il rentre en Guinée avant d’être arrêté et jugé pour son rôle dans les massacres du 28 septembre 2009 et condamné le 31 juillet 2024 à vingt ans de prison pour crimes contre l’humanité. À la surprise générale, Le 28 mars 2025, Moussa Dadis Camara est gracié par Mamadi Doumbouya.
La Guinée aurait pu devenir un modèle démocratique en Afrique de l’Ouest. Riche en ressources minières stratégiques, dotée d’une jeunesse dynamique et d’une société civile engagée, elle disposait des atouts pour écrire une nouvelle page politique. Mais chaque espoir a été trahi.
- En 2010, l’élection d’Alpha Condé incarnait la victoire d’un opposant historique, avant qu’il ne cède à la tentation du troisième mandat.
- En 2021, Mamadi Doumbouya promettait une transition vertueuse. Quatre ans plus tard, il reproduit les dérives qu’il dénonçait.
Ce paradoxe est au cœur du malaise guinéen : chaque rupture annoncée se transforme en continuité autoritaire.
Silence de la communauté internationale
À cette dérive interne s’ajoute le silence assourdissant de la communauté internationale. Officiellement, les partenaires de la Guinée prônent la démocratie, l’État de droit et le respect des libertés. Mais dans les faits, leurs réactions restent timorées, presque inexistantes.
Pourquoi ? Parce que la Guinée détient des ressources stratégiques notamment la bauxite, essentielle pour la production d’aluminium, et d’autres minerais rares convoités par les grandes puissances. Les intérêts économiques et géopolitiques pèsent lourdement sur les principes. La stabilité de façade, même autoritaire, semble préférable à l’incertitude démocratique.
Le symbole de cette course effrénée vers les richesses guinéennes c’est « Simandou 2040 ». Une “ Vision stratégique” à travers laquelle le gouvernement de Conakry entend conclure des accords avec tous les partenaires possibles, et ne pas être réduit à choisir entre Washington, Pékin, Moscou ou Bruxelles. Loin des logiques d’alignement et pour ratisser large. Et il faut le dire en 24 de règne, Lansana Conté n’a jamais sorti un tel projet de terre.
Dans ce contexte de relance économique, les violations des libertés, la disparition d’opposants, la dissolution de mouvements citoyens sont reléguées au second plan face à l’enjeu d’assurer un accès privilégié aux ressources. La communauté internationale, prompte à sanctionner ailleurs, adopte en Guinée une attitude de complicité passive qui fragilise encore plus les acteurs locaux engagés pour la démocratie.
La Guinée est aujourd’hui à la croisée des chemins dans un contexte sous régional inflammable. Tant que les dirigeants guinéens confondront pouvoir et destin national, la Guinée restera prisonnière de son passé. Et dans ce cycle sans fin, c’est toujours le peuple qui paie le prix le plus lourd : celui de l’espoir brisé.
Abdou Aziz Cissé
Chargé de plaidoyer à AfricTivistes
