SILENCE DES ÉLITES, VOIX DES PEUPLES : PLAIDOYER POUR UNE AFRIQUE EN PAIX »

Par Ndeye Fatou Diouf
  1. La centralité des ressources naturelles dans les conflits

L’Afrique est un continent d’abondance et de blessures. De ses entrailles jaillissent l’or, le diamant, le coltan, le cobalt, l’uranium, le cuivre et tant d’autres richesses dont dépend l’économie mondiale. Pourtant, cette abondance est devenue une malédiction pour ceux qui y vivent. La République démocratique du Congo illustre tragiquement ce paradoxe.

Depuis plus de deux décennies, mon pays la république démocratique du Congo est déchiré par une guerre dont les causes profondes sont directement liées à la convoitise sur ses ressources naturelles.

Dans l’Est du Congo, les zones les plus riches en minerais sont aussi celles où les armes ne se taisent jamais. Les groupes armés s’y multiplient, appuyés par des réseaux politiques, économiques et parfois étrangers. Le coltan et le cobalt, utilisés dans les téléphones et les voitures électriques du monde entier, financent des rébellions qui sèment la mort et la peur. Des milliers d’enfants et de jeunes travaillent dans des mines artisanales sans sécurité, pendant que des multinationales engrangent des milliards de dollars.

Depuis Goma, où je vis et milite depuis plus de treize ans au sein du mouvement citoyen LUCHA, j’ai vu de mes propres yeux comment la guerre est devenue une économie. Les armes, les minerais, la corruption et le silence s’entretiennent mutuellement. Les dirigeants congolais, censés protéger les citoyens, négocient souvent avec ceux qui profitent du chaos. Pendant ce temps, les populations paient le prix fort : déplacements forcés, pauvreté extrême, et perte d’espoir.

La guerre actuelle menée par le M23 et le Rwanda, soutenue par des forces étrangères, illustre cette logique cynique. Les zones occupées par ce mouvement ne sont pas choisies au hasard, ce sont des régions stratégiques riches en or, en cassitérite et en coltan. Pendant que les diplomaties du monde observent ou se contentent de déclarations, des milliers de familles fuient encore, laissant derrière elles des maisons brûlées et des champs abandonnés.

Cette guerre pour les ressources n’est pas seulement congolaise : elle est africaine. Au Niger, c’est l’uranium ; au Mali, l’or ; au Soudan, le pétrole. Dans tous ces pays, les ressources nourrissent les conflits au lieu de financer la paix. Cela prouve que le problème n’est pas la nature africaine, mais la structure du pouvoir et la complicité des élites. Tant que les décisions se prendront sans le peuple, tant que les richesses seront gérées dans le secret, les armes parleront plus fort que la justice.

Les élites locales, souvent complices de multinationales étrangères, gèrent les richesses comme des butins personnels. Le peuple, lui, n’en tire que misère et souffrance. C’est pourquoi les mouvements citoyens comme la LUCHA, Y EN A MARRE, BALAIS CITOYEN et tant d’autres plaident pour une souveraineté totale et l’Afrique sur les ressources naturelles et la bonne gouvernance : une transparence totale dans les contrats miniers ; un contrôle citoyen des revenus publics ; et une redistribution équitable des richesses.

La paix durable en Afrique ne viendra pas seulement du silence des armes, mais de la justice économique. Tant que nos richesses profiteront à quelques-uns, la guerre restera un marché rentable.

  1. Les conséquences humaines des guerres de la RD.Congo

Derrière les chiffres froids des rapports humanitaires, il y a des vies brisées, des visages marqués par la peur et l’épuisement.

Dans les camps de déplacés du Nord-Kivu, du Masisi et de Rutshuru, j’ai rencontré des familles qui ont tout perdu à cause d’un conflit qu’elles ne comprennent pas, à côté de ces citoyens nous avons expérimenté la souffrance de ce peuple abandonné. Des mères qui ont vu leurs villages brûlés. Des enfants qui n’ont jamais connu la paix. Des jeunes qui rêvaient d’un avenir et se retrouvent à chercher de quoi survivre chaque jour.

Les guerres en Afrique ne détruisent pas seulement les infrastructures : elles détruisent les âmes. Elles déracinent les communautés, brisent le tissu social et transforment les victimes en oubliés. Les femmes en paient le prix le plus lourd : la violence sexuelle est utilisée comme une arme de guerre, un moyen de domination et d’humiliation.

Les jeunes, eux, sont sacrifiés, sans emploi ni espoir, certains sont enrôlés de force dans des rebellions et ceux qui résistent (il faut regarder le nombre des congolais qui sont dans la diaspora congolaise et dans les camps des réfugiés) sont directement exécutés, d’autres fuient vers l’inconnu, dans les forêts ou sur les routes migratoires.

Mais malgré cette douleur, la dignité résiste. J’ai vu des femmes transformer leur souffrance en solidarité. J’ai vu des jeunes créer des écoles communautaires dans les camps. J’ai vu la société civile et les citoyens sans moyens de défense se transformer en chair à canon, souvent seule face à l’État absent, continuer à parler, à dénoncer, à organiser l’espoir.

Ces guerres ne sont pas des fatalités. Ce sont des constructions humaines, nourries par la cupidité et l’indifférence. Et elles peuvent être déconstruites par la conscience, la solidarité et la mobilisation citoyenne. Tant que les peuples continueront de se taire, les élites continueront de se servir. Mais lorsque les citoyens s’organisent, parlent d’une seule voix et exigent des comptes, alors le pouvoir change de camp.

Conclusion

Les ressources africaines ne devraient pas être une malédiction, mais une promesse. La paix ne viendra pas des élites silencieuses, mais des peuples debout. De Goma à Dakar, de Khartoum à Bamako, nos luttes se rejoignent pour reprendre le contrôle de nos richesses, protéger nos vies, et construire une Afrique qui choisit la paix au lieu de la guerre.

Aujourd’hui, le monde entier profite des ressources africaines. Les voitures électriques européennes roulent grâce au cobalt du Congo, les téléphones portables fonctionnent grâce au coltan du Kivu, et les centrales nucléaires s’allument avec l’uranium du Niger.

Mais les peuples qui extraient ces richesses vivent dans la peur, la pauvreté et l’exil. Il est temps que l’Afrique se regarde elle-même et dise : assez. Assez de silence, assez de souffrance, assez de trahison. La paix ne viendra pas par des accords signés dans des capitales étrangères, mais par la mobilisation des peuples africains, conscients, organisés et solidaires.

De Goma à Dakar, de Bamako à Khartoum, nos voix s’unissent, pour la justice, pour la souveraineté, et pour une Afrique où la paix n’est plus un rêve, mais un droit.

MAME DIARRA FALL – SÉNÉGAL🇸🇳

SAMBA DIALLO – SÉNÉGAL🇸🇳

JOHN ANIBAL LUCHA – RDC CONGO🇨🇩